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Science-Fiction vs Vulgarisation (ou De l’Optimisme Contrarié)

Comme vous l‘avez peut-être déjà constaté, je suis un optimiste contrarié.

J‘aime (j‘adore) l’utopie, genre subsersif aujourd’hui, puisqu’il est de bon ton de décrire comment l’Homme se foirera complètement. J’adore imaginer, souvent benoîtement et sans trop de rigueur scientifique, les merveilleux bienfaits d‘internet (libre accès à la culture, liberté d‘expression, naissance de nouvelles industries et de nouvelles niches économiques), de la technologie en général (automatisation des tâches pénibles, augmentation des chances de survie chez les plus malchanceux comme chez les plus imbéciles, découverte d‘une source d‘énergie libre et illimitée), du retour de l‘humanisme comme valeur première devant le libéralisme et la jungle du marché libre, etc.

Mais très vite, mon cerveau (ce connard), dérape. Après la lecture d‘un 1984, par exemple, c‘est logique.

La logique vient souvent pourrir mon groove lorsque j‘imagine ces mondes meilleurs. Il m‘est totalement impossible de me complaire dans une de ces images positives sans chercher à comprendre comment on pourrait en arriver là. Et surtout, sans imaginer d‘abord tout ce qui pourrait mal tourner en cours de route.

En cela je suis épaulé par des légions de récits dystopiques et post-apocalyptiques comme « Viens, je vais te redonner confiance en l’humanité en 150 pages » ou encore «  l’erreur d’interprétation qui détruisit l’humanité  ». On sent bien qu’il y aura toujours un débile ou un égoïste pour faire foirer le truc.


En général ce genre de récit prend appui sur un raisonnement qui m’agace: la science est néfaste et elle produit des bombes nucléaires. C’est bien une rhétorique d’homme de lettres qui à l’école détestait les maths. Certes il a dû exister des scientifiques véreux, des militaires généreux et patriotes et des chercheurs grassement rémunérés par des laboratoires pharmaceutiques, mais la science n’y est pour rien. Si on n’avait pas laissé les entreprises et l’armée être les plus offrants dans le domaine de la recherche, le chercheur aurait eu un réel choix entre le bien commun et l’intérêt privé. Dès lors qu’on a le choix entre survivre honteusement mais bien payé et crever la dalle dans une gloire anonyme après 8 ans d’études, les dés semblent pipés, ne trouvez-vous-t-il pas ?

Evidemment tout cela est infiniment plus compliqué, il existe aussi des entreprises bienfaisantes et des états dirigés par des autocrates (en anglais : sons of bitches) sans vergogne, mais il est totalement illogique et idiot d’accabler la science. On n’accable pas l’agriculture à cause du quinoa. Pourtant c’est dégueulasse et tout le monde le sait. Pourquoi ? Parce que l’agriculture n’y est pour rien. Comment ça, je fais de la démagogie ? Bah, je recommencerai parce que ça marche bien.

Toujours est-il que mon esprit scientifique fout les boules à mon imagination, qui n’arrive pas à évaluer clairement ce qu’elle voit : faut-il être optimiste ou pessimiste ? J’ai rarement été sensible à l’utopie ou à la dystopie. Il arrive que des récits d’anticipation ou autres me subjuguent mais ce n’est jamais parce que je leur reconnais une clairvoyance exceptionnelle. Il ne suffit pas d’être un incroyable observateur comme l’ont été Orwell, Vernes et beaucoup d’autres. Il faut aussi être un bon conteur. L’art de la narration est au moins aussi important que la pertinence de ce que l’on raconte. C’est pour ça que pour une fois la littérature de fiction n’est pas forcément le meilleur moyen de guider mon imagination indécise.

Dans ces cas-là, je me plonge dans La Réalité Cachée de Brian Greene, dans Effondrements, comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie de Jared Diamond, dans Le gêne égoïste de Richard Dawkins ou même dans Comprendre la physique, dont je vous ai déjà parlé quelque part. J’aime que des gens qui sont à la pointe du savoir humain dans un domaine s’abaissent à mon niveau pour m’élever un peu. Bien sûr, en ce qui me concerne les notes de bas de pages de Greene resteront un mystère insoluble et fascinant à tout jamais (je fais évidemment partie de ces gens qui détestaient les maths à l’école. Maintenant je les aime bien parce qu’on ne me force pas à essayer de les comprendre, j’essaye tout seul. Parfois ça marche, parfois j’abandonne mais sans aigreur, plutôt avec une profonde admiration et une tendresse pour un mathématicien rêveur aux yeux distants, dans sa bulle, chauve sur le sommet du crâne que je me représente toujours en voyant une équation imbitable pleine de signes cabalistiques). C’est à la fin d’un de ces bouquins que je me sens remonté à bloc, l’inspiration au beau fixe et l’extralucidité branchée sur le triphasé. En gros, j’ai une gaule métaphysique à faire peur à la sainte vierge. Et une certaine propension au blasphème, mais je m’en fous je me réincarnerai en Megachasma Pelagios puisque des médiocres m’ont dit que je ne pourrai pas être le tout puissant sarlaac sous le fallacieux prétexte qu’il serait une créature de fiction. Vous n’en savez rien, d’abord.

En bref : si comme moi vous êtes perplexe face à l’égale mesure de dangers et d’améliorations à venir, lisez des bouquins de vulgarisation un peu sérieux. C’est sincère, reposant, et le plus souvent ça rend humble. Si vous recherchez l’évasion, lisez de la « Science-réalité », c’est mieux qu’à la télé, ça vous apprend qu’il y a de bons scientifiques, des gens géniaux qui passent des années (que dis-je, des dizaines d’années!) à trier des crottes d’oiseaux, à compter des atomes, à remplir des tableaux excel. ça vous apprend aussi que la science telle qu’on vous la présente dans les médias ou par le truchement des politiciens N’EST PAS LA SCIENCE.

Ça a aussi des tas d’avantages annexes de lire un bouquin de vulgarisation : ça vous éloigne de toutes les contingences de la vie quotidienne, ça vous donne envie, ça vous berce pour dormir, ça vous épate jusqu’à l’hilarité, ça vous donne une bibliothèque de choses à réviser mentalement quand vous ne pouvez échapper au discours de monsieur le maire ou de votre collègue de bureau. Et pour ma part, ça me permet de pencher du côté de l’optimisme. Je vous vois venir : comment le fait de savoir que l’univers est gouverné par des lois tellement contre-intuitives que seuls les mathématiciens de haut vol peuvent réellement les appréhender peut-il me donner quelque espoir dans une société meilleure ? J’en sais rien. Et les récits captivants de toutes ces civilisations disparues à jamais à cause de comportements que nous sommes allègrement en train de reproduire ? Oui, je me sens mieux après les avoir lus. C’est comme une dystopie anachronique : C’est déjà arrivé, et on sait à peu près comment. On devrait pouvoir faire du rétro-engineering historique et corriger le tir, non ? j’en sais rien. Mais je me sens un poil plus optimiste à chaque fois.

Notez que les causes comme les conséquences de mon optimisme contrarié sont souvent bien plus triviales. Il suffit de penser à la première fois que j’ai mangé du quinoa parce qu’on m’avait dit que c’était bon, ou encore du conflit encore non-résolu entre mon attrait pour les œuvres d’art impérissables et ma passion pour les abjectes daubes cinématographiques.

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