Notre désir de véracité enclenche dans la société un réflexe critique qui, poussé à son paroxysme, nous conduit à rejeter l’idée qu’il y aurait des vérités sûres. Dès qu’une vérité apparait, on se demande si elle ne serait pas culturelle, contextuelle, éphémère, si le consensus autour d’elle ne serait pas lié à des intérêts…
On utilise le bon sens pour critiquer la science alors qu’elle s’est construite contre lui. Les lois qui gouvernent les phénomènes contredisent l’observation. Vous ne pouvez donc pas utiliser votre expérience empirique du monde pour l’expliquer. Or, c’est ce que vous faites quand vous commentez sans avoir étudié un sujet.
“J’en sais rien, mais je pense que… J’ai pas étudié la question, mais je ne ressens pas le mouvement inertiel”.
Dans la vie de tous les jours, ce n’est pas grave, on le fait tous. Mais dans le débat public c’est destructeur. Les idées populistes sont éloquentes, pleines de bon sens et complètement fausses.
Quand vous dites qu’on ne doit pas croire au changement climatique parce qu’on est incapable de prédire le temps qu’il fera dans 3 jours, vous confondez fluctuation et mesure moyenne.
Prenez l’eau d’un ruisseau. En connaissant le terrain, nous sommes parfaitement capables de prédire quel chemin va emprunter l’eau dans son ensemble. En revanche, nous sommes totalement incapables de savoir quel sera le chemin emprunté par une seule molécule d’eau dans ce ruisseau parce que ce mouvement est chaotique. Un simple filet d’eau contient des milliards de milliards de molécules. Je peux prédire leur comportement global, malgré leur nombre, cependant, à cause de leur nombre, je ne peux pas – et ne pourrai sans doute jamais – décrire le mouvement d’une seule d’entre elles.
De la même façon, je peux vous dire qu’au mois d’août à Paris, il fera en moyenne plus chaud qu’au mois de janvier, sans être capable pour autant de vous dire quelle température il fera dans 3 semaines ou le 15 août. Donc on peut faire une prédiction climatique qui dépasse les prédictions météorologiques.
Après on entend dire que ce serait du mépris de classe que d’exiger qu’une personne qui prend la parole ait étudié le sujet sur lequel elle s’exprime. Au nom d’une vision de la démocratie.
Deux choses:
Premièrement, si l’accès à la connaissance n’est pas suffisant ou pas assez encouragé, il est de notre devoir de le favoriser (en reprenant le pouvoir sur tout les vecteurs que nous avons laissé en pâture au marketing, à la communication et aux gourous de toutes sortes: écoles, journaux, radio, télé, internet).
Deuxièmement, il est aussi de notre devoir de réfuter par l’argumentation les idées populistes qui se revendiquent du bon sens pour contester les connaissances.
Augmentons la connaissance que nous avons de nos connaissances et arrêtons de les traiter nous-même comme des croyances.
Bien sûr il est impossible d’être simultanément cultivé dans tous les domaines du savoir. C’est pour cela que nous avons des experts, des vrais.
Je ne parle pas de censure. N’importe qui peut poser n’importe quelle question, et doit pouvoir obtenir une réponse étayée, même si celle-ci est “nous ne savons pas”. Il faut plus de courage pour dire “nous ne savons pas” que pour dire “nous ne sommes pas médecins, mais nous pensons que vous devez …”. Mais n’importe qui ne devrait pas pouvoir, sans avoir de connaissances, émettre des prescriptions, des lois, asséner des mensonges.
Tout n’est pas relatif. La science n’est pas le doute. Le désir de véracité est naturel et sain dans une république. Mais par pitié, ne vous faites pas avoir par les explications les plus simples et les plus éloquentes. Ce n’est pas parce que les critères de définition de la vérité sont nombreux et difficiles à cerner que la vérité n’existe pas.